L’atelier interview

Entretien avec Cédryk ETIENN — “Peindre, c’est engager son regard et son souffle”

regards-de-peintres : Vous allez prochainement ouvrir votre propre galerie à Caen. Pourquoi ce choix, à une époque où les artistes cherchent plutôt à entrer dans des circuits existants ?

C.E : Parce que je crois qu’il faut savoir créer l’espace qu’on ne vous donne pas. J’ai acheté les murs pour installer ma propre galerie, à mon nom, pour exposer exclusivement mon travail. Ce n’est pas un refus du monde de l’art, c’est un acte d’indépendance. J’avance avec mes œuvres, et je les laisse parler sans filtre, sans dépendance.

regards-de-peintres : Votre peinture est à la croisée de la figuration et de l’abstraction. Comment décririez-vous votre langage pictural ?

C.E : Je travaille à l’instinct mais jamais au hasard. Ce que je cherche, c’est une tension juste entre l’énergie brute et la forme maîtrisée. J’utilise le fusain, le pastel gras, l’acrylique, des bombes, des marqueurs Posca… Ce mélange me permet de créer des couches, des matières, des accidents visuels. Mes tableaux sont des espaces de friction, entre construction et effacement, entre surgissement et silence.

regards-de-peintres :  : On perçoit dans vos toiles une sorte de vibration intérieure. Que cherchez-vous à transmettre ?
C.E : Je ne cherche pas à "illustrer" quoi que ce soit. Je cherche à faire vibrer le regard. Chaque œuvre est une tentative de saisir quelque chose d’insaisissable : une émotion, un rythme, une mémoire enfouie.
Je crois profondément que l’art n’existe que par le regard de celui qui le contemple — c’est lui qui complète, qui active, qui fait vivre la peinture.

regards-de-peintres : Vos influences sont variées — Combas, Miró, Judikahel… Quelle place prennent-elles dans votre travail ?

C.E : Ce sont des repères, pas des modèles. Ce que je retiens, ce n’est pas tant leur style que leur liberté. Combas pour l’irrévérence, Miró pour l’espace et la poésie, Judikahel pour la matière vivante.
Mais je me suis détaché de toute volonté de ressembler à qui que ce soit. Mon travail est devenu le mien, avec ses propres codes.

regards-de-peintres : Comment naît une toile chez vous ?

C.E : Par un besoin physique. Je pars souvent sans croquis, mais avec une énergie précise. Il y a beaucoup de gestes, de reprises, de retraits. Peindre, pour moi, c’est respirer autrement.
Et parfois, ça résiste. Il y a des toiles que je reprends des mois plus tard. Rien ne doit être facile — je veux que chaque œuvre ait traversé quelque chose.

regards-de-peintres : Et quand savez-vous qu’une toile est finie ?

C.E : Quand je n’ai plus rien à lui dire. Quand elle se tient seule, sans moi.

regards-de-peintres : Un mot pour ceux qui visiterons votre galerie pour la première fois ?

C.E : Oubliez les codes. Laissez vos yeux décider. Et surtout, prenez le temps. L’art, ce n’est pas un clic, c’est une présence.